Quatre mains sur un seul clavier
Dans la série Grands classiques, présentée par Hydro Québec, Diffusions Amal'Gamme proposait un concert Piano à quatre mains/Schubert et autres bijoux d'époque, le 12 avril 2025, à la salle Saint-François-Xavier de Prévost. Deux pianistes, Rachel Aucoin et Anna Spirina, un duo formé il y a quelques années.
Ce genre était très prisé au XIXe siècle dans les foyers bourgeois pour la musique de chambre. Beaucoup de symphonies étaient arrangées à quatre mains pour être jouées à la maison, avant l'arrivée des enregistrements. Deux pianistes jouent sur le même piano, côte à côte, chacune utilisant ses deux mains. Deux rôles, le primo (souvent à droite) est généralement responsable des mélodies chantantes, des traits raides, de la légèreté. Le secondo (à gauche) prend la partie grave, assure la base harmonique, les basses, le rythme, parfois les effets dramatiques. Ceci exige une coordination extrême, les pianistes doivent se synchroniser parfaitement en tempo, en phrasé et en respiration musicale et faire attention à ne pas se marcher sur les doigts.
L'énorme défi est celui de trouver une respiration commune, de créer une unité de son malgré deux corps et deux cerveaux. La magie tient au fait d'entendre une seule voix habitée de deux souffles. Un même cœur battant sous deux peaux.
La magie a-t-elle opéré?
En partie, oui. À certains endroits dans les pièces proposées, on voyait les deux pianistes bouger en miroir, se pencher, se redresser ensemble, comme si elles dansaient l'une avec l'autre sur le clavier. Leur respiration était parfaitement synchronisée, surtout lors des silences et des finales.
Les interprètes ont rendu une performance précise, toutes les notes - et il y en avait beaucoup - y étaient. Le répertoire était complexe et difficile par moment. Techniquement, tout était en place. Elles ont cependant livré une palette expressive très uniforme. Un peu comme si tout le répertoire proposé était au même niveau, sans contrastes marqués entre les pièces et à l'Intérieur de chacune.
Dans le répertoire à quatre mains, ce qui crée l'alchimie c'est le jeu des textures, les moments de retrait, d'élan, de surprise. L'Interprétation manquait de relief. Elle est restée linéaire. La subtilité est essentielle dans l'interprétation musicale. De ce fait, le jeu devient vivant, incarné, vibrant, pas seulement exact. La musique est bien plus qu'un assemblage de notes. C'est une présence, un souffle, une vulnérabilité qui doit traverser la scène pour toucher l'autre.
Les pianistes ne jouaient pas toujours de manière fusionnelle. Chacune semblait concentrer sur sa partition. Mon coup de cœur, la pièce où l'on a entendu et ressenti une complicité entre les pianistes : La Moldau (1874) de Bedrich Smetana. L'échange entre les deux interprètes a capturé le doux murmure de l'eau de la rivière qui se transforme et devient puissant.
Le programme comptait des œuvres emblématiques de l'époque romantique.
En conclusion, bien que l'exécution ait montré une maîtrise technique, les œuvres méritaient une lecture plus engagée, plus audacieuse et plus nuancée pour leur rendre hommage pleinement.
Carole Trempe